Mon petit chéri, mon plus-que-tout,
Comme tout le monde, j’ai peur du chaos. Parce que le chaos c’est l’effondrement de tout, et surtout c’est l’effondrement de nous-mêmes, l’ébranlement de ce qui était solide, l’éclatement de ce qui était acquis.
La vie est faite de désordre et parfois de chaos et j’ai appris, il y a peu, à distinguer les deux. Ni l’un ni l’autre ne sont la fin de tout.
Le désordre, ce sont les grésillements et les frottements quotidiens, ce qui agace, les impasses, les contretemps, les contre-ordres, les empêchements, les silences parfois pesants, les incompréhensions, les altercations, les agressions, les ruptures, les contrariétés, les frustrations, le manque et l’absence. Le désordre, et il fait partie intégrante de nos vies personnelles, professionnelles, familiales et sociales. Il est dans nos vies, ce que les vagues et le ressac sont à la mer.
Le désordre nous bouscule au quotidien mais nous apprend à vivre. Il nous apprend à comprendre et à respecter l’autre. Il nous apprend aussi à nous relever lorsque l’on trébuche.
Mais le chaos, lui, est autre chose. Le chaos peut naître de l’absence ou la disparition brutale d’êtres chers, de l’accumulation exacerbée du désordre, justement, où encore de la fatigue à tenir, tenir coûte que coûte parce que le monde, te dira-t-on, n’attend pas. Le chaos arrive quand tu es fatiguée de sourire, de faire semblant que tout est normal… Ne fais jamais semblant mon chéri. Mentir aux autres est suffisamment grave, alors à soi-même, c’est un sacrilège dont, parfois, on ne revient pas. Le corps vit mal les mensonges et les faux semblants. Des philosophes du monde entier débattent de ce qu’est la vérité mais ce qui est étonnant, c’est que le corps connaît, lui, la vérité. La chaos peut naître aussi d’un choc trop brutal, une désillusion trop radicale. Le chaos c’est quand de manière persistante, douloureuse et quotidienne tu te demandes : “à quoi ça rime tout ça” ?
